Témoignage

Errance

C’est en poursuivant un rêve utopique d’adolescent, porté sur un monde où les êtres seraient unis et vivraient en symbiose, que je pense avoir construit mes futurs délires schizophréniques. Utilisant à l’époque le cannabis dans un premier temps puis, par la suite, en y ajoutant l’alcool, je me plaisais à refaire le monde avec des « si c’était comme cela, ce serait bien ». Mais voilà, la réalité étant tout autre et ne me plaisant guère, je me réfugiais certains jours puis quotidiennement dans un état d’ivresse qui ne me faisait pourtant pas oublier la misère mais je pense, peut-être, l’accentuait. Je pensais être compris, en tout cas sur certains points, par des personnes sous emprise. Constamment à la recherche de solutions, poursuivant une quête de spiritualité, de sagesse, je m’étais construit mon monde et ma réalité. Cette recherche durera plusieurs années jusqu’au jour où, persuadé d’être filmé en permanence, tel Jim Carrey dans le film « Thruman Show », je me construisis un délire toujours en mouvement dont je mis cinq ans environ à sortir.
Explorons à présent, et je ne vais pas tout citer, les différents délires dont j’ai souvenir.
Persuadé donc d’être filmé par des caméras dissimulées je pensais avoir trouvé réponse à mes interrogations existentielles dans cette pensée de TV réalité qui, je peux le dire, m’amusait au début pour se transformer en cauchemar par la suite. Je cherchais constamment des indices me confortant dans cette nouvelle vérité et très vite, ceux-ci devinrent insuffisants dans ma soif. N’ayant parlé à personne, à l’époque, de ce que j’avais l’impression de percevoir, je n’eus pas de cicatrisation mais plutôt une mutation du délire. Un seul point resta néanmoins d’actualité, c’est que j’étais au centre. Pour expliquer, je pourrais dire : imaginez un mur blanc avec une grosse tache noire. Quel est le centre d’intérêt ? la tache bien sûr. Il fut un temps où je me crus dans un hôpital expérimental (ayant comme décor le monde), traitant des personnes comme moi et m’ayant remarqué pour ma combativité, mon sens des valeurs et mon désir de guérison ( en quelque sorte, je sortais du lot). Je n’avais plus de limites, mes délires étaient toujours en mouvement. Lorsque je me rendais compte de leur caractère délirant, je passais à un autre.
Un jour, un ami me fit écouter deux albums de rap où, dès la première écoute, je m’identifiai. Le fait qu’ils disaient « tu » renforçait l’identification . J’y choisissais les réponses à mes interrogations. Les albums sont : « Freeman » et « La Brigade » (le testament). De fil en aiguille, je me suis pris pour le messie ou encore un immortel. J’ai eu l’impression de vivre un rêve ou plutôt un cauchemar dont j’aurais bien voulu sortir. Je n’étais pas novateur. Je puisais mes sources dans les médias, persuadé que l’on cherchait à m’avertir, à me faire comprendre que j’avais été choisi ou encore que j’avais un destin hors du commun.
En voyant « 6ème sens », je me crus mort, en voyant « Vanilla Sky », je me crus dans un rêve. Les chansons françaises me portaient et ça m’était presque insupportable car j’avais à peine combattu un délire qu’un autre arrivait. J’étais très angoissé par la peur de l’inconnu, un inconnu pas gérable. Alors je fuyais tout ce qui était susceptible de me perturber.
Le chemin de la guérison est long. Il faut s’armer de patiente et s’accrocher. La vie vaut le coup d’être vécue. Un jour, j’ai entendu une dame dire « la vie est belle ». A cette époque, je me disais qu’elle ne le serait plus pour moi. Aujourd’hui, je la comprends mieux. Aussi bizarre que cela puisse paraître, j’apprécie mieux la vie à ce jour. Le soutien des personnes nous entourant est important pour refaire surface. On croit parfois que l’on peut s’en sortir seul, mais c’est faux. Je me souviens avoir pris des conseils un peu auprès de tout le monde et, dans les coups durs, je me les répétais. Certains revenaient : « il faut être patient », « il faut s’accrocher, se battre ». Espoir 54 fut un véritable tremplin et continue encore de m’accompagner. J’ai pu y rencontrer des personnes me comprenant, des professionnels et des malades. Les activités y sont très variées et évolutives puisqu’elles peuvent s’adapter à la demande. Une association en tous points positive. J’ai pu y faire un réseau d’amis que je n’avais plus. Mis à part ma famille, avant, je ne voyais personne. Avec ces amis, donc, je partage des moments de joies, d’interrogations mais, étant stabilisé et en pleine forme, je m’efforce de les aider dans leurs moments sombres. J’ai été surpris par le niveau d’études qu’ont certains usagers. On peut dire que la maladie touche toutes les classes sociales. Dans les débuts de ma maladie, j’aurais bien aimé rencontrer des personnes anciennement malades pour qu’elles me racontent leurs délires afin de voir que je n’étais pas si seul que cela mais, qu’au contraire, d’autres personnes avaient vécu des moments similaires et qu’il était possible de s’en sortir. Parce que, pour ma part, je pensais être dans un sable mouvant où, hurlant à l’aide, personne ne m’entendait et que, si je bougeais, j’allais m’enfoncer davantage. La sortie me paraissait inexistante. Ayant eu comme déclencheur de la maladie un film, je dirais aux personnes fragiles de ne pas chercher de réponses dans un film mais de le regarder comme un divertissement, une fiction. Une prévention pourrait être mise en place. C’est à dire de suggérer, par exemple, avant le film, que ce n’est pas réel, qu’il ne faut pas s’identifier. Ca paraît bête comme ça, mais je pense que la personne voyant cela le comprendrait.
Pour finir, je dirais aux malades psychiques qu’il faut vraiment se battre, ne pas baisser les bras et cela même si la sortie ne nous paraît pas possible. Mon expérience me fait comprendre que la vie est belle et ce, même si la misère est présente autour de nous, qu’il est possible de se coucher en se disant que la journée va être belle. Je voudrais dire aussi qu’il ne faut pas refuser l’aide d’autres personnes. Espoir 54, par exemple, peut vraiment être les béquilles qui nous permettront d’avancer.
Prenez votre traitement, même si vous pensez ne plus en avoir besoin et dites-vous bien qu’il faut être patient.

Benoît

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