Je suis schizo, mais je me soigne
Claire, David, Carine et le compagnon de Dominique sont schizophrènes. Ils ont des hallucinations, des idées délirantes, des pensées et des comportements désorganisés, des crises d'apathie. Ils souffrent mais ne sont pas dangereux. Leur maladie se soigne.

Claire : « Parfois, je souffre, c'est affreux. J'ai l'impression d'avoir une toupie dans le ventre ». (Photo DNA - Michel Petry)

A l'âge de 12 ans (elle a aujourd'hui 20 ans), Claire a commencé à s'isoler. « Je n'avais plus envie de voir mes amis. Je pleurais beaucoup. Je ressentais toujours une grande tristesse et plein d'angoisses. J'avais mal à l'intérieur de moi, je ne supportais plus les gens. Je me plongeais dans le travail ». Jusqu'alors, Claire était bonne élève. Une belle fille plutôt rigolote. Ses parents habitaient à Barr. Cette année-là, sa soeur, son aînée d'un an, avait redoublé. A la rentrée, on avait inversé leur noms : Claire s'était retrouvée dans la classe où aurait dû être inscrite sa soeur et vice versa. L'erreur, signalée au collège, ne fut pas rectifiée. Une broutille sans conséquence aux yeux de l'administration. Chez Claire, elle entraîna le déclenchement d'un terrible stress. « Toutes mes copines étaient dans la classe de ma soeur. J'avais l'impression qu'elles m'abandonnaient pour aller vers elle ».

« Tu dois mourir », lui disent ses voix

 Le déménagement de la famille à Colmar, deux ans plus tard, pour raisons professionnelles, aurait pu se révéler providentiel. Il ne fit qu'empirer les choses. Claire ne s'intègre pas dans le nouvel établissement. Elle a désormais des hallucinations auditives. « J'entends des voix qui me critiquent de façon horrible. Je ne saurais dire si elles sont masculines ou féminines, mais elles sont très agressives. Elles me disent : "Tu es conne, tu ne mérites pas de vivre, tu dois mourir". Elles ne me donnent pas d'ordre, ne me demandent pas de sauter par la fenêtre, mais elles arrivent à me persuader que je suis totalement nulle. Je me dévalorise. Je n'arrive pas à me regarder dans un miroir sans penser à des choses négatives ».
 Au collège, Claire est malheureuse. Ses condisciples se moquent d'elle, la traitent de « suicidaire ». Personne n'est au courant de ses hallucinations, à part sa mère, Véronique. Claire lui a interdit d'en parler à son père. « Je n'arrivais pas à demander de l'aide. Je pleurais très fort dans ma chambre pour que maman vienne à mon secours, mais en même temps j'avais peur de la décevoir, de ne plus être aimée. Je craignais le jugement des autres ». Lorsqu'elle apprend enfin que son mal-être a un nom, la schizophrénie, Claire est presque soulagée. « Savoir que j'étais vraiment malade et que mes symptômes n'étaient pas imaginaires m'a déculpabilisée ».
 Véronique aussi vit des moments difficiles. « J'ai longtemps gardé le secret, mais le porter seule devenait de plus en plus pénible. J'en souffrais. J'étais dans un cul-de-sac. Il fallait que j'en parle à mon mari ». La schizophrénie provoque souvent des drames et des séparations dans les familles.

Envie de rester au fond du lit et de mourir

 Ses parents décident de retirer Claire du collège et de lui faire suivre des études par correspondance. Lorsqu'ils apprennent sa maladie, ses camarades de collège et quelques profs créent un comité de soutien et lui rendent visite à l'hôpital de Rouffach. La jeune fille y met le holà : elle préfère la solitude, même si, à l'hôpital de jour de Rouffach ou à l'extérieur, elle participe à plusieurs activités collectives : la natation, le yoga, la peinture. « C'est très déroutant, confie sa maman. L'humeur de Claire peut évoluer d'heure en heure. En ce moment, elle se sent bien, mais vous l'auriez vue ce matin... Il faut toujours relativiser, apprendre à vivre au jour le jour. Au début, on avait tout faux, son père et moi. On l'obligeait à voir du monde, alors qu'elle ne voulait, qu'elle ne pouvait pas ».
 Claire culpabilise : souvent, elle n'a la force ni de se lever, ni de s'habiller. Elle a envie de se pelotonner au fond du lit et de mourir. Sa chance, c'est son caractère « têtu ». « Je refuse de passer la journée au lit. Je me force à faire des choses, mais je m'épuise très vite, et je pleure souvent ». Par correspondance, elle obtient un BEP de secrétariat. Elle aide sa mère à tenir la comptabilité de l'entreprise familiale.

Toutes ses affaires à la poubelle

 Son rêve est de vivre indépendante, dans la grange que ses parents font aménager derrière leur maison, de se marier un jour et d'avoir des enfants. « Depuis que je suis malade, ma vie est en suspens. C'est dur de faire des projets d'avenir, mais je sais qu'un matin je me réveillerai et que tout ira bien après ». Véronique, sa maman, a rencontré des schizophrènes qui mènent une vie de famille normale : « Au bout du tunnel, il y a le soleil. Je voudrais qu'il brille un peu plus souvent pour Claire ».
 C'est au moment où nous allions nous tourner vers lui pour recueillir son témoignage que David, un jeune Colmarien de 19 ans et demi, schizophrène lui aussi, se lève brusquement et quitte la salle d'un pas nerveux en grommelant : « Excusez-moi, excusez-moi ». Il n'a pas supporté d'entendre Claire évoquer des souvenirs douloureux qui lui rappellent ses propres cauchemars. Carine, 33 ans, semble plus solide. Elle a découvert sa schizophrénie en 1999. Elle habitait seule en appartement, donnait des cours de piano dans des écoles de musique. Est-ce le surmenage, les cinq à huit heures de piano par jour, le trac des auditions publiques ? Toujours est-il qu'elle craque, jette toutes ses affaires à la poubelle, y compris sa médaille de baptême.
 Prévenus, ses parents la soupçonnent d'avoir tout donné à une secte. Ils l'obligent à revenir habiter à la maison. « Je ne voulais plus les voir. Je n'acceptais pas que maman me fasse à manger. Je ne m'habillais plus qu'en blanc. J'étais victime de délires mystiques », dit Carine. Les médecins parlent à son propos de bouffées délirantes, d'état d'agitation et de désorganisation de la pensée, de comportements incohérents. « J'ai rejeté également le piano. Je lui en ai voulu. Depuis quelque temps, je m'y suis remise. Je joue jusqu'à deux heures par jour ». La schizophrénie est déstabilisante pour l'entourage des malades. « Elle bouleverse la vie familiale, raconte Chantal, la maman de Carine. On se sent coupables d'avoir un enfant malade, de ne pas avoir détecté les symptômes assez tôt, alors qu'il y a souvent des signes avant-coureurs des bouffées délirantes. Le vide se fait autour de la poche famille du schizophrène. Tout le monde fuit. On a l'impression que c'est une maladie contagieuse ».

On n'en guérit pas, mais on peut vivre avec

 Dominique n'a pas laissé tomber son compagnon, devenu schizophrène à la suite d'un stress professionnel (une promotion promise, puis refusée), il y a deux ans, à l'âge de 34 ans, après six années de vie en commun. Dominique souffre : du secret médical que les psychiatres opposent à celle qui n'est que la concubine du malade ; des soi-disant amis qui ont disparu dès que le mal est apparu ; des relations désormais compliquées avec son compagnon, atteint de bouffées délirantes chroniques. « Il se simplifie la vie au maximum. Il ne fait même plus les courses. Mais six ans de bonheur contrebalancent largement deux ans de schizophrénie, dit Dominique. Cette maladie, nous allons la vaincre ensemble ».
 La vaincre, mais pas la guérir. « Il n'y aucune maladie humaine dont on guérisse, pas plus la schizophrénie que le cholestérol, dit Yann Hodé, psychiatre praticien hospitalier à Rouffach. La médecine corrige en permanence, et beaucoup de gens vivent très bien avec la maladie. Il en va de même avec la schizophrénie. Certains malades ne présentent plus aucun symptôme, d'autres devront être hospitalisés à vie ». Claire, David, Carine et le compagnon de Dominique cultivent l'espoir de vivre en ayant oublié qu'ils sont schizo.

C.K.


© Dernières Nouvelles d'Alsace  - Dim 25 jan. 2004

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