Une maladie si mal connue

La schizophrénie est la maladie psychiatrique la plus fréquente. Et celle sur laquelle circulent le plus d'idées fausses. Schizo-Espoir organise des journées pour les chasser.

Nathalie Habecker est une des responsables et fondatrices de l'association alsacienne Schizo-Espoir. " Sans elle ", confie-t-elle, " je ne serais peut-être plus là… " Il y a quatre ans, son fils, qui en avait 16, vit sa première crise schizophrène. C'était, jusqu'alors, un garçon tout à fait normal. Il suit désormais un traitement régulier à l'hôpital de Rouffach, où il se rend deux fois par semaine, et est considéré comme handicapé à 80 %. " Il lui est arrivé de se prendre pour le treizième protégé de Dieu… Mais il n'y a pas que du négatif : il sait parler, manger, discuter… Vous pourriez très bien le rencontrer sans savoir qu'il est malade ".

" Je ne suis ni un fou ni un tueur ! "

Dernièrement, raconte encore sa maman, il a rencontré en ville un camarade de lycée. " Ils sont allés boire un pot. Le copain lui a demandé ce qu'il devenait, il a dit qu'il était malade. Mais qu'il n'était ni un fou, ni un tueur ! " Nous voici au coeur du sujet : le but de Schizo-Espoir est non seulement d'aider les malades et les familles mais aussi de lutter contre une certaine désinformation. Touchant 1 % de la population, remplissant les hôpitaux psychiatriques, la schizophrénie est paradoxalement la plus fréquente et la plus mal connue des maladies psychiatriques (voir ci-contre). Ses symptômes, en tout cas au début, peuvent se confondre avec d'autres. " Ça peut passer pour une crise d'adolescence un peu forte, avec un comportement asocial, de l'excentricité… ", explique le psychiatre Yann Hodé, praticien hospitalier au secteur 8 du Haut-Rhin, membre du comité de l'association. Parfois, c'est pris pour de la fainéantise : " En dehors des crises, il a du mal à faire les choses, à se lever. Il peut rester des heures devant la télé, sans initiative… " Il ressemble à un jeune qui " glande ". Sauf que là, ça dure. Ce comportement peut expliquer que certains sans domicile fixe peuvent ne pas même penser à se protéger du froid… D'autres fois, ils sont actifs mais leur énergie se dépense de façon stérile, inutile.

" Le malade met souvent du temps à avouer ses hallucinations"

Et quand surviennent des hallucinations, sorte de rêves, ou plutôt de cauchemars, éveillés, le malade met souvent longtemps avant d'en parler, de peur d'être pris pour un fou. " Il peut le garder pour lui pendant des années ", au risque d'augmenter son mal être. Ces hallucinations sont auditives (des voix qui peuvent dire d'aller se tuer, ou d'en tuer un autre), visuelles ou sensorielles (comme, par exemple, un ver qui vous ronge de l'intérieur…) Par ailleurs, laisse entendre Yann Hodé, les praticiens doivent aussi évoluer : " Certains médecins ont des difficultés à établir un lien fort avec les familles. Je pense au contraire qu'il est important de les former, ainsi que les patients, à cette maladie, qui est très complexe ". Les associer au traitement permet de les déculpabiliser. Dans les années 70 ont fleuri des théories expliquant que les symptômes de la schizophrénie pouvaient être causés par le dysfonctionnement des cellules familiales. Une assertion que des études sur des enfants adoptés n'ont pas corroborée mais qui a augmenté de quelques degrés supplémentaires le désarroi des proches. " On m'a dit au début que les troubles venaient de la mère ", témoigne Nathalie Habecker. " Croyez-moi, il y a de quoi sombrer dans la dépression ! " Aujourd'hui le Dr Hodé est bien plus enclin à mettre en cause la génétique que l'éducation. Les améliorations passeront par une meilleure connaissance. C'est pourquoi l'association a lancé l'an dernier ses Journées de la schizophrénie. Pour qu'on reconnaisse la maladie le plus tôt possible, ce qui améliore le traitement, et qu'on n'en ait pas honte. Pour qu'enfin, grâce à des initiatives comme Schizo-Espoir, espère Nathalie Habecker, " les prochains ne passent pas par où on est passé… "

Hervé de Chalendar

REPÈRES

CHIFFRES. 1 % de la population est atteint de schizophrénie. Un bébé sur 100 deviendra schizophrène. 30 à 50 % des schizophrènes ont fait au moins une tentative de suicide dans leur vie. 10 % meurent par suicide. Une étude américaine a établi que entre un tiers et deux tiers des SDF souffrent de cette maladie. Entre deux tiers et trois quarts des patients de l'hôpital de jour de Rouffach sont soignés pour schizophrénie. Dans les hôpitaux psychiatriques, près d'un lit sur deux sont occupés par des personnes soufrant de schizophrénie. Selon l'Organisation mondiale de la santé, c'est la première cause de handicap chez les jeunes. La maladie se déclenche dans la majorité des cas entre 15 et 25 ans. La moitié des schizophrènes arrivent cependant à trouver un travail, protégé ou non. SYMPTÔMES. Les crises sont souvent déclenchées par des moments de stress : rupture sentimentale, décès, échec scolaire ou professionnel… Différents symptômes permette reconnaître la schizophrénie : à côté de ceux qui " expriment " la maladie, comme les hallucinations, les idées délirantes (souvent mystiques, paranoïaques), les troubles du comportement (allant jusqu'à l'hostilité), il y a des " manques ", comme une absence d'énergie et de motivation (un absentéisme scolaire soudain, par exemple), un retrait social (le patient se dévalorise), une pauvreté de la pensée, avec des difficultés à s'exprimer.

CÉLÉBRITÉS. Certaines célébrités, parfois considérées comme des génies, ont pu montrer des symptômes schizophrènes, comme le philosophe Diogène, qui vivait dans un tonneau, ou un artiste comme Van Gogh…

Quelques idées fausses

" Les schizophrènes ont une double personnalité ", ou " ils sont écartelés entre des positions contraires " : c'est dans cette acception que l'on emploie ce terme, en particulier dans les médias, mais c'est abusif. Il y a une différence entre avoir des hallucinations et passer de Dr Jekyll à Mr Hyde. " Les schizophrènes sont des tueurs " : certains tueurs sont certainement schizophrènes (les voix entendues peuvent pousser au meurtre) mais évidemment (et heureusement, vu la fréquence de la maladie…) tous les schizophrènes ne sont pas des tueurs. " La schizophrénie, c'est incurable " : avec les traitements actuels, certes au long cours, " on élimine les crises pour la majorité des patients ", assure le Dr Hodé. " Certains ont un travail, une vie de famille… "

PROGRAMME Du régional à l'international

L'association alsacienne Schizo-Espoir a inauguré l'an dernier les Journées de la Schizophrénie. Elle va vite en besogne, puisqu'elle organise cette année, les 19 et 20 mars, des journées francophones, sous le parrainage de Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'État aux Personnes handicapées. Outre trois associations françaises (en Alsace, en Lorraine et dans la région parisienne) participent une dizaine d'autres oeuvrant en Suisse, au Maroc, au Canada et au Cameroun. En Alsace, sous le patronage du conseil régional et avec la collaboration du centre hospitalier de Rouffach, sont prévus des concerts, une course et deux expositions. Les concerts sont programmés le vendredi 19 mars à 20h30 : ils proposeront du gospel en l'église Saint-Antoine de Colmar et du rock avec Little Bob au Noumatrouff à Mulhouse. Le lendemain samedi 20 mars, à partir de 14h30, est organisée la course de la Vallée noble, à Osenbach, à laquelle participeront des scolaires, des malades, des soignants, etc. Enfin deux expos d'oeuvres de patients sont prévues depuis ce 13 mars et jusqu'au 2 avril à la cave vinicole de Ribeauvillé et à partir de demain jusqu'au 19 mars à l'Espace Santé Jeune de Sémaphore à Mulhouse.

Journal l’Alsace Dimanche 14 mars 2004

Retour